Les secrets de la prison la plus célèbre de Barcelone

medecin français à Barcelone

Nichée dans l’Eixample, la Model est certainement la prison la plus connue de Barcelone, avec plus d’un siècle d’existence. Mais vous ne savez pas toute la vérité sur elle.

Au détour d’une rue de l’Eixample, où les pâtés de maisons se suivent et se ressemblent, émerge un îlot de pierre. Un monde hermétique à l’agitation de Barcelone, qui, lorsqu’on en passe la grande porte d’entrée, laisse place à un étrange silence. Depuis presque 5 ans, la prison de la Model, désormais vide, n’est plus qu’un vestige de l’histoire de la ville. Mais si ses murs pouvaient parler, ils auraient des milliers d’histoires à raconter sur tout ce qu’il s’y est passé.

Une prison “modèle”

Si la prison porte le nom de “Model” (en catalan, ou “Modelo” en castillan), c’est parce qu’elle a été créée dans l’optique d’être un centre pénitentiaire modèle, parfait, un exemple à suivre. Les travaux débutent en 1887 et laissent place, lors de l’inauguration en 1904, à une prison en forme d’étoile à 6 branches. 6 ailes comptant environ 600 cellules au total, se rejoignant toutes au centre où se situe une sorte de tour de contrôle. Une façon de surveiller les détenus de toutes les ailes depuis un seul et même poste, une forme novatrice pour l’époque. 

prison barcelonePhoto : Model

Mais très vite, la Model se révèle ne pas être si modèle qu’elle en a l’air. Les premières mutineries explosent en 1906, et la première exécution date de 1908. 

Pensée pour n’accueillir qu’un prisonnier par cellule, elle en compte parfois jusqu’à 16 dans sa période la plus sombre, celle de l’après-guerre et de la répression franquiste. En 1940, un an après la fin de la guerre civile espagnole, 13 000 hommes sont enfermés dans la Model.

Îlot de pierre au cœur de la ville

On imagine souvent les prisons à l’image de la célèbre Alcatraz, sur une île au beau milieu de la froide baie de San Francisco. Une situation qui promettait un isolement total aux prisonniers, entourés d’eau et de vent, loin de la ville et des possibilités de s’évader. Or, ce n’est pas le cas de la Model : elle est perdue au beau milieu de Barcelone, précisément entre l’Esquerra de l’Eixample et Sants. Une sorte d’île de pierre au milieu des immeubles. 

Pourtant, lors de sa construction dès 1887, le pénitencier se situait au milieu de terrains vagues, la ville en étant encore éloignée. La Model était alors censée accueillir les détenus de la prison Reina Amalia, dans le Raval, en plein centre-ville. 

La drogue, une épidémie à la prison de Barcelone

Ce n’est une nouveauté pour personne : les trafics de drogue sont courants, dans les prisons. Et la Model de Barcelone ne faisait pas exception à la règle. Dans les années 1980, l’héroïne était très régulièrement consommée, et était introduite notamment par des personnes à l’extérieur de l’enceinte de la prison. On lançait des doses par-dessus le mur, soigneusement enveloppées, ou même par les fenêtres, et la drogue atterrissait dans les cours ou dans les couloirs centraux des ailes.

prison barcelonePhoto : Clémentine Laurent/Equinox

Pour pallier le problème, la direction a fait installer un filet séparant les différents étages, dans les ailes de la prison. Le dispositif limitait non seulement les accidents, mais aussi l’entrée de drogues dans l’enceinte, le filet retenant bloquées les doses jetées par les fenêtres. Mais les dealers étaient au moins aussi ingénieux, et on commença alors à lancer des doses entourées d’un glaçon. Ainsi, lorsqu’il était pris dans le filet de sécurité, il n’y avait plus qu’à attendre qu’il fonde pour laisser tomber la dose d’héroïne entre les mains des détenus, qui pouvaient circuler librement dans le couloir. 

Conséquence de la circulation de drogue par intraveineuse et du manque d’hygiène, le VIH fit aussi son apparition dans la Model. 

Des femmes à la Model

La prison n’a pas accueilli que des détenus masculins. C’est un fait peu connu, mais des femmes ont aussi été enfermées à la Model, précisément à partir de 1955. À cette date, la prison pour femmes de Les Corts ferme et la Model devient alors un centre pénitentiaire mixte. Comme les hommes, les femmes souffraient aussi de conditions de vie épouvantables. Le viol était une pratique de torture, et certaines qui arrivaient enceintes dans la prison étaient contraintes d’accoucher en cellule, explique une guide de la prison.  

prison barcelonePhoto : Clémentine Laurent/Equinox

Jusqu’en 1963, date à laquelle est ouverte la prison pour femmes de la Trinitat qui accueillera les détenues de la Model, on compte aussi de nombreuses intellectuelles, universitaires et syndicalistes parmi les prisonnières, ennemies du régime franquiste. 

Le calvaire des homosexuels

Comme en France, l’homosexualité était jugée illégale en Espagne. Jusqu’en 1978, la communauté était désignée par la loi comme des “paresseux” et des “délinquants”, qu’il fallait “rééduquer”. Ainsi, de nombreux homosexuels ont été enfermés à la Model, souvent maltraités par leurs codétenus. 

Le cas des femmes transgenres est d’autant plus grave. Considérées comme des hommes par les autorités, elles étaient donc contraintes de vivre dans les ailes réservées aux hommes, où des cas de viols sont rapportés par les guides de la prison. 

Des prisonniers-stars

Comme Al Capone à Alcatraz, aux États-Unis, la Model a aussi abrité quelques célébrités. Le plus connu est certainement Lluís Companys, celui qui deviendra le président de la Catalogne mais étant à l’époque un avocat républicain. La prison a aussi compté parmi ses détenus l’anarchiste Francesc Ferrer i Guardia, l’homme politique et entrepreneur José María Ruiz Mateos, ou encore l’avocat José Emilio Rodríguez Menéndez.

prison barceloneEl Vaquilla. Photo : La Vanguardia

Mais l’un des noms les plus iconiques de la Model reste Juan José Moreno Cuenca, surnommé “El Vaquilla”. Un vrai délinquant de film d’action, aux nombreuses biographies et même présent dans la musique et le cinéma espagnol. Aujourd’hui, il est un peu devenu comme une légende, parmi les bandits espagnols. D’origine gitane, il naît à Barcelone dans les années 1960, entouré d’une famille baignant déjà dans la délinquance. Il commence ses méfaits dans le quartier de la Mina à à peine 11 ans, et est incarcéré pour la première fois à la Model à 16 ans. 

Addict à l’héroïne, il prend la tête d’une mutinerie pour réclamer de la drogue dans le centre pénitentiaire, en 1984. Sa (courte) vie est rythmée par les délits en tous genres, les arrestations et les tentatives d’évasion. Lors de l’une de ses fugues, il commet 13 méfaits en seulement 5 jours. 

Mais El Vaquilla n’est pas le premier des détenus de la Model aux envies d’ailleurs. En 1933, c’est pas moins de 58 prisonniers qui se sont évadés de la prison, en passant par les égouts. Certains ont été rattrapés par la police, dû à la difficulté de la tâche : sous terre, dans le noir et sans aucune indication géographique, difficile de savoir où se diriger, si l’on est encore en-dessous de la prison, au beau milieu d’une rue ou sous un parc. Le fait n’en reste pas moins spectaculaire. 

Les condamnés à mort

Sous la dictature franquiste, les prisonniers politiques sont nombreux, et on documente au moins 24 exécutions entre les murs de la Model, bien qu’elles puissent y avoir été plus nombreuses. 

Les condamnés exécutés au sein même de la prison passaient par le lacet étrangleur, aussi appelé le garrot. Une pratique visant à tuer par la strangulation qui, bien qu’elle semble extrêmement violente et éloignée de nous, elle a été pratiquée jusque 1974. 

prison barcelonePhoto : Clémentine Laurent/Equinox

Le dernier condamné à mort de la Model est Salvador Puig Antich, membre du mouvement anarchiste ibérique de libération, jugé coupable du meurtre par balle d’un sous-inspecteur. Il sera le dernier à passer au lacet étrangleur, dans une sombre pièce de la prison que l’on peut encore visiter aujourd’hui. 

Prison, future école

Traînant un lourd passé derrière elle, la prison de la Model n’a cessé d’encombrer les autorités catalanes depuis la fin de la dictature. À partir des années 1990, le parlement catalan cherche à fermer ce terrible chapitre de l’histoire, et affirme vouloir réhabiliter la prison en lui trouvant une nouvelle fonction. 

prison barcelonePhoto : El Periódico

C’est chose faite, des années plus tard : le 8 juin 2017, quasiment 113 ans après son ouverture, la Model voit ses derniers détenus être transférés vers d’autres centres. Aujourd’hui visitable avec ou sans guide, l’ancienne prison devrait se transformer en un espace de vie : la mairie compte y installer des logements, un parc urbain, des écoles, des espaces dédiés au sport, à l’économie sociale et solidaire… tout en conservant la structure principale et les traces du passé. Une façon de bien terminer l’histoire de la Model, qui pourtant avait mal commencé un siècle auparavant.

Visiter la Model : infos pratiques

Toutes les infos et réservations ici.

Horaires d’ouverture : visites libres tous les premiers dimanches du mois, de 10 h à 14 h (pas de réservation à faire).
Patio intérieur ouvert tous les jours. Du lundi au samedi de 10 h à 20 h, dimanche de 10 h à 14 h.
Visites guidées à réserver à partir du 30 avril, 10 h, ici

Prix : c’est gratuit !

Adresse : Centre Cultural la Model, C/ d’Entença, 155, 08029 Barcelona

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