8 mai : quand les Français s’exilaient en Espagne

Le 8 mai 1945 a marqué la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Ainsi, chaque 8 mai, l’Armistice est célébré dans le vieux continent. Pour l’occasion, Equinox revient sur l’histoire méconnue de l’exil des Français en Espagne sous l’occupation allemande. 

En janvier et février 1939, la chute de la Catalogne républicaine provoque l’un des plus grands exils politiques de l’histoire européenne : 500 000 réfugiés espagnols traversent la frontière française pour échapper aux troupes nationalistes. Par un curieux retournement de l’histoire, les années suivantes sont marquées, a contrario, par des exils français vers l’Espagne. Cependant, ces deux histoires sont très différentes, et leurs caractéristiques ne sont pas comparables. Le professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Nantes, Michel Catala, conte le récit de cette « retirada » des Français vers l’Espagne dans le magazine d’histoire « Matériaux pour l’histoire de notre temps » (2002-.

L’Espagne comme point de passage

Les départs vers l’Espagne commencent dès la débâcle du printemps 1940 : environ 8 000 personnes, principalement issues de milieux aisés, quittent la France soit par le port de Bordeaux, soit par l’Espagne et le Portugal, pour rejoindre l’Amérique. Stigmatisée par Vichy, cette «émigration de luxe» se tarit rapidement. Mais déjà, cette première vague démontre l’une des caractéristiques majeures de cet exil français pendant la guerre : le passage… Alors que la France continue d’abriter près de 150 000 Espagnols réfugiés politiques en 1940, l’Espagne n’est pas, dans la grande majorité des cas, la destination finale.

La guerre civile espagnole s’est terminée en avril 1939 : le pays est ruiné, la famine menace une grande partie de la population. La dictature franquiste est particulièrement répressive, et l’Espagne vit, jusqu’en 1945, une véritable «épuration» politico-sociale : les prisons sont pleines… Depuis le coup d’État de juillet 1936, Franco symbolise la lutte contre la démocratie et la liberté. À l’opposé, la France est perçue par le nouveau régime comme le pays qui a soutenu les Républicains.

Le 1er juin 1940, l’Espagne s’est déclarée non-belligérante, donc hors de la guerre tout en se solidarisant officiellement avec l’Axe. L’entente entre Franco et Hitler est réaffirmée solennellement et les relations franco-espagnoles sont rétablies en février 1939, mais elles restent longtemps précaires. La colonie française, passée de 1 6 807 personnes en 1 930 à 6 871 en 1940, vit des années difficiles, et le moindre incident peut valoir l’expulsion. Le 1er juin 1940, l’Espagne s’est déclarée non-belligérante, donc hors de la guerre tout en se solidarisant officiellement avec l’Axe. L’entente entre Franco et Hitler est réaffirmée solennellement et publiquement à Hendaye le 23 octobre 1940. Non, décidément, l’Espagne n’est pas un refuge souhaité, ni d’ailleurs souhaitable.

Des réseaux transfrontaliers

Dans une Europe occupée par l’armée allemande, la péninsule ibérique reste la seule porte de sortie terrestre à l’Ouest du continent. Dès le mois d’août 1940, le gouvernement espagnol décide d’interdire le transit des Français par l’Espagne, même s’ils disposent de toutes les autorisations de Vichy. Franco n’entend pas faire de son pays un refuge pour les adversaires de son allié allemand. Mais de nombreux réseaux s’organisent dans les départements frontaliers français afin d’évacuer vers l’Espagne puis l’Angleterre les prisonniers alliés en fuite, les aviateurs abattus et cherchant à regagner leurs bases, les Juifs persécutés par les Allemands ou par Vichy, et les Français cherchant à rejoindre Londres. Les services de renseignements alliés s’intéressent également à la «filière espagnole», et la France libre voit rapidement l’intérêt d’utiliser l’Espagne afin de faire passer des agents et des renseignements.

L’exil est encore perçu par de nombreux Français comme au pire une trahison, au mieux, une nécessité de dernière heure. Finalement, durant cette période 1940-1 942, les passages en Espagne sont essentiellement le fait de prisonniers alliés évadés et surtout de plusieurs milliers de juifs, qui bénéficient alors de la tolérance du gouvernement franquiste pour transiter par l’Espagne dans leur fuite devant l’avancée allemande5. Quant aux Français, rares sont ceux qui traversent la péninsule sans être arrêtés par les autorités espagnoles. Entre 1 940 et 1 942, ceux qui sont pris sont enfermés en prison leur sort reste peu connu.

Dès 1942, l’exil des Français explose

C’est à partir de novembre 1942, après l’invasion de la zone sud, que les passages deviennent beaucoup plus nombreux. Les rangs des candidats français à l’exil augmentent. Et pour cause, quelques résistants désirent rejoindre l’Espagne à la suite de l’avancée des troupes allemandes. En conséquence, trois mille Français étaient déjà recensés en Espagne en janvier 1943.

Selon l’étude d’Émilienne Eychenne, environ une centaine d’exilés seraient morts durant leur passage, notamment en raison des conditions extrêmes au niveau des Pyrénées. En parallèle, 3 000 à 5 000 Français auraient été arrêtés avant de passer la frontière espagnole. L’historien Robert Belot revoit à la hausse ce dernier chiffre, estimant à 7.000 le nombre total d’échecs. Mais environ 23 000 Français parviennent tout de même à franchir la frontière entre 1942 et 1944.

La vie des « exilés » français en Espagne

Selon l’historien Michel Catala, les exilés de France subissent un séjour éprouvant en Espagne, qui ne correspond pas aux promesses du gouvernement espagnol. En 1943 et 1944, la grande majorité des Français sont internés dans différents établissements : le camp de Miranda, des prisons, des «balnearios», la résidence surveillée en hôtels ou en pensions. Bien entendu, les prisons espagnoles étaient le lieu de séjour le plus éprouvant. Surpeuplées depuis la Guerre civile, les geôles franquistes offrent des conditions d’existence particulièrement difficiles : promiscuité, hygiène déplorable, maladies contagieuses, manque de nourriture. D’après les chiffres officiels, quatorze Français trouvent la mort durant leur séjour en prison. Mais la représentation à Madrid, sans véritables possibilités d’intervention sur les conditions de détention, parvient tout de même à limiter ces emprisonnements : environ 30 % des exilés français sont encore enfermés en août 43 (soit environ 2 500 personnes), mais seulement 8 % en décembre de la même année.

L’internement au camp de Miranda a également laissé un pénible souvenir : climat hostile, insalubrité des lieux, absence d’hygiène et de nourriture. La situation s’améliore surtout à partir de mars 1943 grâce à l’action de la mission française. Selon les archives, le camp a accueilli entre 2 000 et 3 000 internés, dont une majorité de Français à partir du deuxième semestre de 1943. En 1943, de 37 à 42 % des exilés français sont passés par le camp de Miranda, ce qui fait de ce camp espagnol, le plus fréquenté par les Français.

Au total, environ 30 000 Français tentent de franchir la frontière des Pyrénées de 1940 à 1944 pour s’affranchir de l’occupation allemande de la France. 7 000 ont échoué, 23 000 passent et ont été rapatriés en Afrique du Nord ou même en Angleterre. Par ailleurs, un autre exil méconnu a vu le jour entre la péninsule ibérique et l’Hexagone. En effet, entre 2 000 et 5 000 Français auraient rejoint l’Espagne après la Libération en 1944. Toutefois, peu d’archives retracent ce passage de la Seconde Guerre mondiale. Le lien franco-espagnol durant ce conflit international réserve encore de riches histoires.

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