Quand la modernité enlaidit Barcelone

Si Barcelone plaît grâce à son architecture moderniste remarquable, ses bâtiments plus récents sont beaucoup moins appréciés. L’architecture moderne est-elle en train d’enlaidir la ville ? Réponse avec un architecte.

Il suffit de regarder quels sont les bâtiments les plus admirés à Barcelone pour le comprendre : locaux comme touristes, le monde entier a développé une véritable fascination pour les œuvres d’Antoni Gaudí, et du modernisme en général. Casa Batlló, Sagrada Família, Park Güell, Pedrera… Les courbes, les couleurs, les lumières, les textures attirent, et font briller Barcelone à l’international comme une grande ville d’architecture.

Une grande qualité que la ville elle-même semble avoir mal comprise : au lieu de construire de nouveaux immeubles modernistes, colorés et aux lignes naturelles, les bâtiments modernes sont souvent ternes, rigides, sans décoration. Barcelone a-t-elle décidé de ne plus plaire ? Ou sont-ce les architectes qui ne font plus rien de beau ? 

Eva García, architecte dans le bureau La Llotja à Barcelone, y répond. Et la réponse n’est pas simple, mais elle explique que, globalement, les architectes ne font plus “du Gaudí” simplement parce qu’ils ne le peuvent pas, dû à plusieurs facteurs. 

La fonctionnalité, au-dessus de la beauté

Tout d’abord, l’architecture change au fur et à mesure du temps, l’esthétique à la mode mais aussi les matériaux. Mais ce n’est pas tout : aujourd’hui, “la fonctionnalité prévaut toujours sur l’esthétique”, explique l’architecte. “Les clients ne nous voient pas comme des artistes mais des constructeurs, des organisateurs.

Mais le plus déterminant, dans le passage de l’architecture type Gaudí à l’architecture type HLM, n’est pas la mode ni les matériaux mais bien la conception du temps. “Nous vivons à une période où tout est à portée de main en un clic. Si l’on commande quelque chose sur Amazon par exemple, on le reçoit le lendemain, et souvent on ne se préoccupe pas d’où il vient ni de sa qualité, parce que ce que l’on veut c’est répondre à un besoin le plus vite possible”, selon Eva García.

architecture moderne barcelonePhoto : Avenida del viajero

Et cette impatience se répercute sur l’architecture : l’aménagement de l’espace, la construction, la beauté ne sont pas le plus important. L’objectif est de construire un bâtiment rapidement, et pour peu cher.

Dans l’Antiquité, on construisait avec une mentalité différente, on était conscients de combien de temps les bâtiments allaient tenir. L’architecture était ce qui survivait à l’être humain, ce qui explique l’histoire des villes, le style et la société de cette période”, précise l’architecte. Ainsi, on admire la beauté des temples grecs parce que leurs architectes savaient ce qu’ils représenteraient plus tard. Mais aujourd’hui, beaucoup de bâtiments modernes ne sont pas construits pour émerveiller nos descendants, ils doivent simplement répondre à un besoin actuel et ne tiendront peut-être même pas dans le temps. “On a aussi perdu l’artisanat, tout cela en grande partie parce que l’immédiateté prévaut.”

L’objectif des bâtiments, aujourd’hui, est aussi de montrer le pouvoir, l’argent de ceux à qui ils appartiennent, de leurs occupants. “Aujourd’hui on utilise les bâtiments et l’art comme un outil marketing. Tout est fait pour être vendu et sert forcément les tendances d’aujourd’hui. L’architecture dans les villes devient tape-à-l’oeil et ostentatoire parce que l’on veut représenter le pouvoir et l’argent”, résume l’architecte. 

Construire la Casa Batlló aujourd’hui serait interdit

Une dernière explication à l’architecture moderne : les règles actuelles de construction. Même s’ils le voulaient, les architectes actuels ne pourraient pas construire une deuxième Casa Batlló, tout simplement parce que la bureaucratisation ne le permet plus. “Les normes, tout du moins ici en Catalogne et en Espagne, sont toujours plus restrictives, pas tant au niveau du développement durable, mais plutôt au niveau spatial”, pour les architectes de La Llotja. Si bien sûr elles sont nécessaires, elles ne permettent plus aujourd’hui la réflexion et limitent les possibilités d’architecture dans l’espace, “et font qu’il n’y a ni variété ni richesse” dans l’architecture actuelle. 

Barcelone est-elle donc en train de devenir une ville sans couleurs, sans courbes, sans extravagances… bref, sans vie ? Pour les architectes, la ville n’en est (heureusement) pas encore là. “Barcelone est un bon exemple de l’architecture contemporaine qui a parfois su échapper aux griffes de l’architecture comme symbole de pouvoir et de marketing”, avec par exemple le bâtiment du CCCB, terminé en 1994 par Albert Viaplana. Un édifice qui s’insère entre les murs d’un couvent, et reflète son environnement dans ses nombreuses vitres à l’image d’un miroir. Une façon, en somme, de s’intégrer parfaitement dans Barcelone.

architecture moderne barcelonePhoto : CCCB de Barcelone

Les architectes admirent aussi la bibliothèque Jaume Fuster de Josep Llinàs (2005), qui s’intègre bien dans le rôle qu’il joue dans l’espace centralisé de la Plaça Lesseps, ou encore le centre commercial Illa Diagonal de Rafael Moneo et Manuel de Solà-Morales (1993), “un grand projet qui, malgré ses fins commerciales, s’intègre dans la ville comme un gratte-ciel couché qui ouvre son rez-de-chaussée en générant de nouvelles rues et de nouvelles connexions pour la ville”.

À l’inverse, juste à côté du CCCB, le MACBA de Richard Meier (1995) détonne en ne s’insérant pas du tout dans son environnement, et en répondant à ses propres règles. Un bâtiment “d’une grande qualité architecturale et esthétique, mais sans aucun dialogue avec la ville”, pour Eva García. 

En bref, on ne peut pas attendre des architectes d’aujourd’hui de refaire du Gaudí… mais Barcelone cache aussi de beaux bâtiments modernes, qui valent la peine d’être découverts.

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