Français de Barcelone : expatriés ou immigrés ?

expatrié immigré

Un débat qui n’en finit pas, entre Français de Barcelone : sont-ils expatriés ou immigrés ? Y a-t-il une différence. Réponse de spécialistes pour y voir plus clair.

Photo : Zawszena wakacjach

Nombre de Français de Barcelone font la distinction. Ils sont des expatriés, et non des immigrés. Et pourtant, dans le dictionnaire, les deux définitions sont similaires. Un expatrié, selon le Petit Robert, est quelqu’un “qui a quitté sa patrie volontairement ou qui en a été chassé”, ou bien “qui travaille à l’étranger pour le compte d’une entreprise de son pays d’origine”. Un immigré, toujours selon ce dictionnaire, “est venu de l’étranger, par rapport au pays qui l’accueille”. Selon cette logique, un expatrié serait donc un immigré, et un immigré est donc un expatrié ; dans tous les cas, il s’agit de quitter son pays d’origine. 

Mais tous les expatriés/immigrés ne voient pas les deux termes de la même façon. “Personnellement, je vois une petite différence entre expatrié et immigré”, reconnaît Karim Joutet, français vivant à Barcelone où il enseigne l’espagnol. “Un expatrié serait une personne qui serait ici envoyée par son travail, et qui aurait un contrat d’une entreprise française plutôt qu’un contrat local. Un immigré serait une personne résidant à Barcelone sans nationalité espagnole, et qui travaillerait ou non en contrat local”, selon le professeur, qui est aussi président de l’association Barcelone Accueil.

Expatrié pour le travail…

Et effectivement, cette différenciation entre expatrié et immigré sur des questions de travail existe… ou du moins, elle a existé. “À l’origine, les expatriés sont une catégorie particulière des immigrés, des personnes qui allaient travailler quelques années dans un pays étranger dans le cadre d’un plan de mobilité interne d’une entreprise par exemple. Mais ils pensaient retourner dans leur pays d’origine quelques années après, ce n’était pas des émigrés classiques qui partaient sans forcément revenir”, précise Francois Héran, sociologue, démographe et Président du conseil d’orientation du Musée de l’histoire de l’immigration, à Paris. “Il a aussi existé des expatriés coopérants, qui allaient faire leur service militaire dans un autre pays avec lequel la France avait des accords.”

Mais voilà, aujourd’hui, cette distinction n’est plus d’actualité. Dans les grandes bases de données internationales, pour l’Organisation des Nations unies et pour les spécialistes, les deux termes signifient maintenant la même chose. Pour François Héran, qui est également professeur au Collège de France, cette distinction est aujourd’hui “sans avenir”.

… mais immigré car prolétaire

Pourquoi, alors, s’acharner à délimiter les deux ? Peut-être parce que le terme d’expat est moins connoté que celui d’immigré, remarque Marianne Amar. “Le terme d’expatrié, qui se généralise progressivement à partir des années 1960, est en général réservé aux professions qualifiées et celui d’immigré, aux migrations de prolétaires. Le choix de l’un ou de l’autre peut donc être porteur de représentations différentes, voire faciliter les discriminations”, explique l’historienne, également responsable du département de la recherche du musée de l’immigration.

expatrié immigréPhoto : Vicente Zambrano González

À titre d’exemple, qualifier un médecin ou un étudiant venu d’Afrique d’immigré ou d’expatrié porte deux représentations différentes. Négative pour la première et positive pour la seconde, qui ne sont pas sans effet sur ses relations avec le pays d’installation.”

Se définir comme “expat” et non comme “immigré” participe donc à une discrimination entre les deux, et c’est un sujet très discuté parmi les chercheurs. “Les Européens sont en général désignés comme « expatriés » dans les autres pays de l’Union. Mais si l’on prend par exemple le cas des Européens d’Europe de l’Est, les qualifier d’ “immigré” facilite d’une certaine manière les mesures discriminatoires que certains voudraient appliquer à leur encontre, comme pour les Polonais en Grande-Bretagne avant le Brexit ou les populations roms partout en Europe”, remarque la spécialiste. 

Et même si l’on fait cette distinction entre un immigré qui s’installerait pour toute la vie dans un autre pays et un expatrié qui se déplacerait temporairement pour le travail, la frontière entre les deux termes est poreuse. Comment être sûr que l’on ne s’installera pas, à terme, dans un pays ? On peut arriver à Barcelone pour y travailler durant un an, puis s’y marier, avoir des enfants, mais ne pas perdre en tête l’idée de retourner en France un jour. Est-on expatrié, immigré ? Au final, dans le monde, “les deux tiers des migrations s’installent et un tiers repart”, soulève François Héran. Car qui, à Barcelone, sait exactement s’il y restera pour la vie ? Pour le sociologue et démographe, la distinction expatrié/immigré est vouée à disparaître.

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