Un bar historique de Barcelone, théâtre d’un meurtre inélucidé en 1925

En 1925, le quartier du Gòtic abritait le Petit Torino, aujourd’hui remplacé par le Grill Room Bar Thonet. Cette année-là, un crime commis dans cet établissement a marqué l’histoire. 

Photos : Barcelona de Antes

C’est l’une des affaires criminelles les plus célèbres de Catalogne. Dans le quartier Gòtic, le Petit Torino, premier grand temple du vermouth, a été le théâtre d’un mystérieux crime en 1925. À l’époque, les serveurs portaient des smokings, les clients, à la moustache méticuleusement taillée, se coiffaient de béret et portaient des pantalons et gilets dignes du célèbre film Gatsby le Magnifique. Un pianiste jouait des morceaux de jazz dans une ambiance feutrée et intimiste. Plongée dans cette atmosphère, dans la nuit du 21 août 1925, une cliente, du nom de Dolors Bernabéu, ne se doutait pas qu’elle boirait ici sa dernière coupe de champagne.

Mystérieuse mort de Dolors Bernabeú

Au milieu de cette nuit d’été, la musique du bar s’est interrompue. La raison ? Une femme traversant le passage des Escudellers a crié en voyant une jeune femme chuter d’un immeuble de cette rue. Tous les clients de la taverne se sont alors approchés de la porte et ont aperçu un corps ensanglanté gisant sur le trottoir. Il n’y avait pas de doute, il s’agissait de Dolors Bernabéu, qui buvait dans le même bar une demi-heure avant. La victime, surnommée Lolita par ses amis, était valencienne. Durant cette fameuse nuit, elle prenait un verre au Petit Torino, précisément avec des Barcelonais aisés.

Dans la foulée, un militaire a emmené le corps à la maison de secours de la Carrer Marquès de Barberà, située juste à côté de la rédaction de La Publicitat. Au milieu du tumulte, un journaliste du média en question a aperçu la défunte. Ce dernier s’est alors empressé de poser quelques questions et a décidé de se rendre à Escudellers pour connaître les détails de l’événement. S’est-elle suicidée ? A-t-elle été assassinée ? Pourquoi la version officielle dit-elle qu’elle s’est suicidée alors que son cadavre a été blessé par balles dans le dos ? Et la note manuscrite qu’elle avait laissée dans sa chambre, l’avait-elle écrite elle-même ? Était-ce un mot d’adieu ? Pourquoi son petit ami était-il enfermé dans l’hôtel ? Autant d’interrogations qui ont, plus tard, poussé Josep Sala Cullell à reconstituer les faits à travers un roman.

Un roman qui mystifie l’affaire

Josep Sala Cullell a ainsi tenté de reconstituer toutes les interrogations sur la mort de Dolors Bernabéu de manière cinématographique, documentée et vivante. Et pour cause, cette affaire a déchaîné les passions. Elle a occupé les pages des journaux pendant des semaines et des mois, avec une presse frontalement divisée entre partisans d’un suicide et partisans d’un meurtre. Elle a également inspiré toutes sortes de théories et de rumeurs.

« Finalement, l’affaire a été dissimulée sans que la vérité ne soit rendue publique », écrit Josep Sala Cullell. Bien que les habitants de Barcelone en aient gardé le souvenir pendant plusieurs décennies, le temps puis la guerre civile espagnole et la dictature ont enterré le crime. Ainsi, dans son ouvrage, Josep Sala i Cullell a méticuleusement retracé l’affaire grâce aux journaux et aux documents d’archives. L’histoire transporte alors le lecteur dans une Barcelone turbulente et passionnante : une Barcelone de cabarets et de fusillades, de salons et de bidonvilles, où se côtoient brillants jeunes écrivains comme Pla et Sagarra, petits criminels, gros poissons de la dictature de Primo de Rivera et journalistes avisés en quête de l’exclusivité de la décennie.

Petit Torino, premier grand temple du vermouth à Barcelone

Au-delà, de cette affaire sordide, le Petit Torino a marqué l’histoire d’une autre manière. Il a été le précurseur en matière de « vermuteria » à Barcelone. Comme le rappellent nos confrères d’El Nacional, à la fin du XIXe siècle, un Italien du nom de Flaminio Mezzalama s’installe à Barcelone dans le but d’introduire le produit phare de l’entreprise pour laquelle il travaille : le vermouth Martini&Rossi. Quelques semaines plus tard, Don Flaminio décide d’ouvrir un bar à deux pas de la Rambla dans lequel seul le vermouth est servi et le nomme Torino. L’établissement est situé au Carrer Escudellers.

Grill RoomMezzalama a chargé le décorateur moderniste Ricard de Capmany de concevoir la taverne. Ainsi, l’on trouve des arches en bois, vitraux, peintures murales, lampes ornées, tapisseries et toutes sortes de détails qui sont encore bien conservés aujourd’hui. Le Torino a eu un tel succès que, peu de temps après, l’Italien a décidé d’ouvrir un deuxième Torino au Passeig de Gràcia, encore plus majestueux et avec des hommes comme Puig i Cadafalch ou Gaudí pour participer à la conception du nouveau lieu. Pour l’anecdote, le Torino original, situé dans le Gòtic, a été surnommé le « Petit Torino » à partir de 1916, après le décès de Mezzalama. Par la suite, le Français Pierre Porta, a racheté le bar et l’a renommé Grill-Room, qui est devenu un établissement incontournable de la vieille ville.

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