Le quotidien d’un élève français de Barcelone il y a 110 ans 

En 1911, l’École Lesseps, alors appelée les Écoles françaises, décide de figer dans le temps son quotidien en créant un album photographique. Revenir sur cet album, dont il ne subsiste plus qu’un seul exemplaire, est aussi une occasion de rappeler que l’école célèbrera en 2026 ses 175 ans.

Photo : Trois élèves du cours moyen des Écoles françaises de la rue Diputación 96, en 1911, Archives personnelles.

En 1910, les Écoles françaises sont déjà une institution bien établie dans le paysage scolaire barcelonais. Pourtant, elles ne sont installées que depuis peu de temps dans l’édifice que nous lui connaissons aujourd’hui, situé au 707 Gran Via, inauguré en 1903. À cette époque, le bâtiment ne compte qu’un seul étage. Cependant, l’école compte également un autre local, situé à l’ouest de la ville, au 96 carrer Diputación, qu’elle loue. Ce local sera abandonné dans les années qui suivent pour bâtir le site de Sepúlveda, tristement rentré dans la postérité pour avoir été rayé de la carte par des bombardements en 1938.

école lesseps barceloneVue extérieure de l’édifice de Gran Via 707 et vue extérieure des locaux de Diputacion 96. Archives personnelles.

À quoi ressemblait l’enseignement vers 1912 ? Les programmes scolaires de l’époque sont très révélateurs des mœurs de la société. En plus des matières fondamentales, l’école assurait des cours de politesse, de civisme et d’hygiène. En effet, à l’époque, l’hygiène était une priorité du gouvernement français en raison des épidémies récurrentes. Pour en limiter les effets, l’école suivait un protocole strict consistant à exclure un élève malade pendant 40 jours. De plus, des cours d’économie domestique étaient également dispensés.

Les programmes scolaires sont aussi des reflets des relations diplomatiques. Certaines langues pouvaient disparaître ou apparaître en fonction de l’état des relations internationales. Ainsi, en raison des tensions avec l’Allemagne, l’enseignement de l’allemand est supprimé des programmes en 1908 et est remplacé par l’anglais en 1910, suite à l’alliance renforcée entre la France et le Royaume-Uni.

Pour récompenser le travail des bons élèves, les Écoles françaises pratiquaient également des distributions de bons points dont quelques-uns ont pu nous parvenir : 

bons points ecole lesseps

Bons points de Pepito Urgell entre 1906-1907, Archives personnelles.

Salles de classe et cours de commerce

À quoi ressemblait une classe en 1911 ? Une photo nous permet d’en étudier la physionomie. Ce qui frappe en premier, ce sont les bancs et pupitres en bois, usés. La salle de classe compte 21 tables, ce qui indique que la classe comptait environ 42 élèves. C’étaient donc des classes surchargées où la discipline stricte était probablement nécessaire. Pour éclairer la pièce, un puits de lumière est installé au plafond, complété par quatre lampes à gaz suspendues, alimentées par des tuyaux.

salle de classe ecole lessepsSalle de classe des Écoles françaises de Gran Via, 1911. Archives personnelles.

Sur le mur sont accrochés les vestons et bérets des élèves, ce qui laisse penser qu’il s’agit d’une classe de garçons. Au fond de la salle, au centre, se trouve une affiche qui représente un homme soutenant un rameau au-dessus d’un texte, peut-être la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Cette affiche est accompagnée, à droite, d’une carte de la France et, à gauche d’une carte de l’Europe. Sur la gauche se trouve également une carte de l’Espagne. La partie arrière de la classe est réservée aux démonstrations scientifiques. Pour preuve, nous voyons sur une table un globe. Dans les armoires, il y a des flacons et des cartons contenant probablement le matériel nécessaire aux études de sciences naturelles. 

WhatsApp Image 2024 09 01 at 18.06.43 4Vue intérieure des locaux des Écoles françaises de Gran Via, 707, Archives personnelles

Que se passait-il une fois la scolarité primaire achevée ? Les filles, comme les garçons, pouvaient suivre des cours de commerce. L’existence de ces cours est tout à fait logique, car la communauté française de Barcelone étaient principalement composées de commerçants et d’industriels. La blouse noire était obligatoire pour les garçons, tandis que les filles avaient comme consigne de porter une robe tombant sous le genou.

ecole lessepsJeunes filles et jeunes garçons de plus de 14 ans suivant le cours de commerce des Écoles françaises en 1912.  Archives personnelles.

Un foyer patriotique français

À l’époque, les Écoles françaises étaient également un foyer de patriotisme français, un aspect d’autant plus significatif qu’une grande partie de ses effectifs étaient Catalans. Être élève à cette époque signifiait recevoir une instruction civique axée sur la préparation à la revanche contre l’Allemagne, qui avait vaincu la France en 1870. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette instruction était attendue de la part des Français de Barcelone, car sa communauté était composée d’une importante population d’Alsaciens, farouches partisans de la réintégration de l’Alsace-Lorraine à la France.

Cette instruction civique était accompagnée d’une intense préparation militaire. En effet, les Écoles avaient la mission de former « des hommes armés pour la lutte », pour reprendre les mots du consul de l’époque. Pour renforcer cette préparation, la communauté fonde en 1910 la société « Patrie », qui offrait des cours de maniement d’armes factices et un entraînement physique, visant à préparer les garçons de l’école à leur intégration dans l’armée française dans le cadre du service militaire français. Certes, la participation aux activités de Patrie était optionnelle, mais elle revêtait un caractère obligatoire pour les élèves de nationalité française qui souhaitaient conserver leur citoyenneté. 

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 Deux activités sportives : des cours de gymnastique suédoise pour les filles et des cours de boxe pour les garçons. Archives personnelles.

Cependant, cela demeure un cadre théorique. Dans les faits, combien de familles françaises y adhéraient réellement ? Y en avait-il qui s’y opposaient ? Des familles catalanes y ont-elles inscrit leurs enfants dans le but d’obtenir la citoyenneté française ? Ce sont des questions encore sans réponse, mais auxquelles nous espérons pouvoir répondre un jour.


L’histoire des Français de Barcelone

L’historien Guillaume Horn, auteur de cet article, a dirigé les recherches et la rédaction de l’ouvrage LES FRANÇAIS DE BARCELONE, OMBRES ET LUMIÈRES – DU XVE AU XXE SIÈCLE.

Le livre est toujours disponible et s’il est acheté à la librairie française de Barcelone Jaimes, tous les revenus sont reversés à la Bienfaisance. Infos et commandes sur le site de la librairie.

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