True crime en Espagne : pourquoi aime-t-on autant se faire peur ?

Equinox Barcelone El caso Asunto Netflix

Sur le petit écran et dans nos oreilles, le true crime est partout. En Espagne, le genre est particulièrement plébiscité. Mais pourquoi aime-t-on autant se faire peur ? Décryptage.

Photo de couverture : « El Caso Asunta » Netflix

Un vendredi soir d’octobre. Assis sur le canapé, lumières éteintes, les yeux rivés sur la télé et le plaid étendu sur les genoux, la musique stressante qui sort du poste va crescendo quand tout d’un coup « bam ! », le tueur apparaît à l’écran. Certains crient, d’autres rigolent, d’autres encore ferment les yeux. Ce sentiment aigre-doux, à la fois plaisant et désagréable, c’est la peur.

Une peur qu’en Espagne on adore ressentir, notamment via des contenus de true crime, ce genre qui a fait son apparition sur nos écrans il y a à peu près une dizaine d’années, via les séries et les films mais aussi dans nos oreilles par les podcasts. Son concept est très simple : recréer des faits divers avec plus ou moins de fiction. 

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Dans le pays, le genre est roi dans le domaine du podcast, et deuxième plus plébiscité par les abonnés des plateformes de streaming. Une passion que Netflix, Amazon Prime et HBO Max ont bien compris : ils développent chaque année de nouveaux projets autour de crimes ayant eu lieu sur le territoire, ce qu’on appelle des « true crime nationaux ». Parmi ceux-ci, on peut citer le premier de ces immenses succès : « El cuerpo en llamas » (2021) une série inspirée par l’affaire du « crime de la Guardia Civil », l’assassinat d’un policier en Catalogne en 2017. Le public avait été au rendez-vous : plus de 16 millions de visionnages.

Entre avril et mai 2024, Netflix a continué à surfer sur la tendance et sorti deux séries dans la même veine : « El Caso Asunta », qui revient sur l’assassinat d’une petite fille par ses deux parents adoptifs en 2013 à Saint-Jacques-de-Compostelle, qui a été visionnée par presque 13 millions de personnes ; et « El rey del cachopo », la sordide histoire d’un chef condamné en 2021 pour avoir tué et démembré sa femme dans la province madrilène.

Le 22 novembre prochain, Netflix rempile sur le « true crime national » en diffusant « 900 dias sin Anabel Segura ». La série de trois épisodes reviendra sur l’enlèvement d’Anabel Segura dans la province de Madrid dans les années 90, promettant de lever le voile sur les secrets entourant l’affaire.

Avoir peur, oui, mais de chez soi

Ces histoires géographiquement localisées font plus peur que celles ayant lieu dans d’autres pays. Et qui dit plus de peur, dit plus de fans. Devant l’angoisse du « à nous aussi, ça peut nous arriver puisque c’est déjà arrivé non loin d’ici » certaines personnes détournent le regard, mais d’autres poussent le vice, curieux de voir jusqu’où la peur peut les emmener. D’abord pour une histoire d’adrénaline, s’auto-analyse Fanny, une expat de 28 ans, RH le jour et fan de true crime la nuit, qui estime que « dans une société hyper protégée, avoir peur c’est une manière de ressentir quelque chose, de l’adrénaline ».

Cette petite montée de frissons est un sentiment que l’on connait toutes et tous, et il est vrai qu’il est beaucoup plus agréable de le ressentir depuis son canapé plutôt que dans la vraie vie. « On aime avoir peur pour se rassurer, se dire qu’il y a des trucs horribles et qu’en comparaison nous, ça va » renchérit Caroline Gourdier, psychologue à Barcelone et par ailleurs passionnée de podcasts de true crime.

Equinox Barcelone El cuerpo en llamas Netflix

Photo : « El cuerpo en llamas » Netflix

S’identifier : une affaire de femmes ?

La psychologue qui consulte dans le quartier de la Sagrada Familia évoque également un attrait passant par une certaine identification aux personnages. D’abord aux criminels, qui ont souvent eu des vies relativement banales avant de devenir des psychopathes, mais surtout aux victimes, très majoritairement des femmes. Et c’est paradoxalement aussi le genre féminin qui est le plus friand de true crime : elles représentent entre 80 % et 85 % de l’audience.

Fanny et Caroline sont d’accord : regarder ou entendre ce genre d’histoires permet de comprendre la psychologie des individus, et ainsi d’être mieux préparées dans l’éventualité d’une rencontre. Une sorte de documentation et de protection par le divertissement. Et c’est une caractéristique toute féminine, car seulement elles en ressentent le besoin, continue Fanny, qui estime qu’« en tant que femme, [elle est] dans une société qui [la] met davantage en danger », pointant du doigt les violences systémiques liées au genre. 

Le phénomène dépasse tout de même largement la seule passion féminine, puisqu’en octobre 2024 le premier festival espagnol dédié au true crime a été organisé à Alicante : il semble que l’Espagne n’a pas fini d’avoir peur.

Lire aussi : L’histoire vraie de la policière barcelonaise qui a tué son amant adaptée sur Netflix

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