La mesure n’est pas encore adoptée que les entrepreneurs espagnols font exploser leur mécontentement. Le projet de loi gouvernemental de réduire la durée de travail hebdomadaire en Espagne à 37,5 heures provoque une levée de boucliers des forces vives du pays.
Image de couverture : Clémentine Laurent
C’est la première fois depuis 1983 que l’Espagne toucherait à sa durée légale du temps de travail. Ministre du Travail et leader de l’extrême-gauche espagnole, Yolanda Díaz veut son application avant la fin de l’année. Le parti socialiste, au pouvoir en coalition avec la gauche radicale, est mal à l’aise. Pour le moment, il n’y a pas de majorité parlementaire, il faudra convaincre les députés indépendantistes catalans tandis que le secteur entrepreneurial voit la mesure comme l’amorce d’une crise sur le marché de l’emploi.
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L’avant-projet de loi n’a été négocié qu’entre le ministère du Travail, avec à sa tête une ancienne membre du parti communiste espagnol et les syndicats. Laissant de côté le camp patronal. Pour Antonio Banderas, représentant du collectif des « entreprises familiales de Madrid », il n’est pas concevable « d‘appliquer des mesures d’une telle ampleur sans écouter les secteurs directement concernés par la création d’emplois ». Les entreprises craignent en effet que cette mesure n’entraîne l’adoption d’une nouvelle réglementation imposant une troisième hausse des cotisations patronales et une complexification accrue des contrats de travail. Elles redoutent également un impact négatif sur la productivité et la viabilité des petites structures.
Entre 21 et 24 milliards d’euros de coûts pour les entreprises
Gerardo Cuerva (Président du syndicat Cepyme défendant les PME/TPE) voit dans l’avant-projet de loi « une grave intervention du gouvernement dans l’organisation des entreprises et des conventions collectives, ce qui aura des conséquences majeures pour les petites entreprises. » Selon les premières estimations, les coûts engendrés par cette réduction pourraient atteindre entre 21 et 24 milliards d’euros, affectant particulièrement les PME et les secteurs tels que l’agriculture, l’hôtellerie ou le commerce de proximité.
En effet, dans ce grand chamboule-tout de la durée de travail, tous les secteurs ne seront pas logés à la même enseigne. La construction et de l’agriculture devraient subir les effets les plus lourds, notamment à cause de la hausse des coûts des heures supplémentaires et du ralentissement des grands projets financés par les fonds européens. Par ailleurs, l’hôtellerie et le commerce, en raison de leur forte dépendance à la main-d’œuvre, devraient aussi ressentir les secousses les plus fortes.
Face à l’intransigeance du ministère du Travail, les entreprises misent sur le long trajet parlementaire qui reste encore à effectuer pour que le gouvernement tende la main aux patrons. « Il existe un chemin de dialogue qui devrait s’ouvrir entre le ministère du Travail et les syndicats pour éviter des tensions inutiles pour les entreprises », semble espérer José Miguel Guerrero, Président de Confemetal représentant l’industrie de la métallurgie.
Embrouille au sein du gouvernement
Les désaccords politiques pourraient être une bouée de sauvetage pour le patronat. Et forcer le dialogue. L’aile socialiste du gouvernement espagnol, emmené par le ministre de l’Économie Carlos Cuerpo essaie de freiner les ardeurs de Yolanda Díaz pour que la mesure s’applique progressivement, quitte à dépasser largement l’horizon de la fin 2025, et avec des aides financières pour les entreprises. Sous la pression des élections législatives qui se profilent en 2026, la cheffe de la gauche radicale a besoin de donner des gages à son électorat et monte le ton, en traitant publiquement de « mauvaise personne » son voisin de table du conseil des Ministres. Un duel, qui n’est pas sans rappeler Dominique Strauss-Kahn au ministère de l’Économie face à Martine Aubry à celui du travail, lors du passage aux 35 heures en France dans les années 2000.
Une fois de plus, c’est Carles Puigdemont qui départagera les deux camps. Avec son petit groupe de sept députés indépendantistes catalans au Parlement de Madrid, il détient la clé pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre en raison du manque de majorité gouvernementale. Le suspense devrait durer une bonne partie de l’année. D’un côté, Puigdemont hésite à s’opposer frontalement à une réforme largement plébiscitée. De l’autre son parti, Junts, encore marqué par l’échec de la tentative de sécession de 2017, cherche à retisser des liens avec les milieux économiques, notamment les PME, bastions traditionnels de ce parti de centre-droit. La porte de sortie pourrait passer par une série d’amendements destinés à adoucir le texte, avec en ligne de mire des mesures de soutien financier pour les petites entreprises. Un compromis qui pourrait bien dessiner l’issue de ce bras de fer parlementaire.