À Barcelone, derrière les palmiers, le burn-out

De l’angoisse, des difficultés à dormir, à se concentrer, un mal-être général… Chaque année le burn-out gagne du terrain, et l’Espagne n’y échappe pas. Même à Barcelone, pourtant fantasmée comme une ville de douceur de vivre ?

Photos : Clémentine Laurent

« La pression continue, le contrôle permanent et le manque d’empathie de la part du management m’ont amené au burn-out à plusieurs reprises, et chacun a amené son arrêt maladie », raconte Eric*, un expat français employé pendant presque 5 ans, dans une grande entreprise tech installée à Barcelone.

Même scénario pour Nicolas*, qui travaillait pour une grosse entreprise américaine de retail. Un jour, le Français craque : « En plus de la surcharge et de l’ultra-exigence, une partie de mon job me demandait de me rendre disponible 24/7. Un jour, impossible de m’y rendre. À la fatigue mentale s’ajoutait des symptômes physiques (plus de force, difficulté à respirer tranquillement, etc). »

Commencent pour les deux expats un parcours du combattant. Malgré les rapports de ses médecins, Eric est forcé de reprendre le travail par l’ICAM (Institut Català d’Avaluacions Mèdiques), l’équivalent catalan du médecin-conseil de la Sécu.

De son côté, Nicolas a diagnostiqué lui-même la nature de sa pathologie : « J’ai du expliquer ce que c’était un burn-out à un médecin et ça m’a vraiment surpris. Sa réaction était stoïque, comme s’il avait la flemme d’essayer de comprendre. Je pense qu’il m’a pris pour un étranger qui a juste envie de prendre des vacances payées par l’entreprise. Finalement, il m’a donné une ordonnance pour résoudre les symptômes (de la mélatonine pour dormir et du diazépam pour se calmer). » Son entourage professionnel ne l’a pas mieux compris, continue-t-il : « Ma directrice m’a appelé en m’expliquant que mon arrêt était bizarre, quasi-abusif… Les responsables espagnols ne semblent pas prêts à ce genre de scénario. »

Tous deux ont fini par s’en sortir grâce au soutien de psychologues, de leurs proches, et en arrêtant de travailler pour ces entreprises. Evidemment, le processus vient avec son lot de séquelles, raconte Eric, aujourd’hui en procédure pour faire reconnaître sa maladie professionnelle et qui évoque des pensées suicidaires liées à son retour forcé au travail.

En France, le burn-out est mieux pris en charge

Des situations comme celles d’Eric et Nicolas, il en existe des centaines dans le pays. Bien qu’il n’y ait pas de chiffres officiels – l’OMS ne reconnait le trouble que depuis 2019 – en croisant toutes les données, on peut estimer qu’environ la moitié des Espagnols se trouvent en situation d’extrême fatigue professionnelle. En France, le chiffre est comparable, mais le mal-être au travail est mieux pris en charge. C’est ce dont témoigne Nadine*, ex-employée dans l’hôtellerie à la Réunion : « Sous antidépresseurs pendant deux ans, +20 kg en neuf mois, je ne dormais plus. Mais mon médecin traitant m’a tout de suite orientée vers un suivi adapté, médical et psychologique. J’ai été bien accompagnée. »

En Espagne, ce n’est pas tant l’accès au système de santé qui fait défaut – tous nos témoins ont obtenu des arrêts maladie – que la méconnaissance du trouble. Agathe Fourgnaud, psychothérapeute à Barcelone, résume : « Le traitement passe par le repos complet et un travail sur soi pour identifier les raisons pour lesquelles on en est arrivé là. En Espagne, l’approche reste souvent basée sur la prescription de médicaments. Certains médecins tendent à considérer le burn-out comme une dépression alors que sa symptomatologie est reconnu par l’OMS même si, dans les faits, un burn-out non identifié peut réellement déboucher sur une dépression. C’est une manière de faire qui se distingue de celle que l’on pratique en France, où notre culture du soin reste d’abord fondée sur l’écoute du sujet. » 

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Autre symptôme du désintérêt : l’absence de débat public. Là où la presse française multiplie les dossiers sur la souffrance au travail, l’internet espagnol reste très pauvre sur le sujet. En cause, selon Agathe Fourgnaud : le caractère subjectif du burn-out, peu compatible avec une médecine centrée sur les symptômes.

Mais aussi un manque de considération global pour les travailleurs, analyse Nicolas Ruzette, psychologue à Barcelone : « La ville est perçue comme légère. Mais les conditions de travail sont dures, les salaires bas, les droits précaires. À court terme, c’est attrayant mais ceux qui veulent construire une carrière sont vite frustrés. Et ceux qui restent pour la qualité de vie s’épuisent à force d’endurer un job qu’ils détestent. »

Lire aussi : À Barcelone, quand les expats disent stop au travail

Face à ce tabou persistant, quelques initiatives émergent timidement en Espagne. Certaines entreprises s’intéressent de plus en plus sérieusement au problème du stress au travail et proposent des coachings personnalisés ou des cellules psychologiques, mais tout cela reste anecdotique. Pour que le burn-out soit enfin reconnu à sa juste mesure, il faudrait que les institutions s’y intéressent et que les soignants soient mieux formés à ce trouble professionnel. En attendant, à Barcelone comme ailleurs, ce sont les employés qui trinquent.

*tous les prénoms ont été modifiés à la demande des interviewés

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