Alors que la saison touristique débute fort à Barcelone, les professionnels du secteur les moins scrupuleux s’en donnent à coeur joie. Leur cible : les touristes étrangers qui cherchent à manger « typiquement espagnol » à toute heure de la journée.
Sous le soleil timide du mois de mai, les visiteurs se pressent par milliers autour de la Sagrada Familia. Face à eux, l’avenue Gaudi, piétonne et ombragée, déroule ses terrasses de restaurants et ses menus avec photos. « Déjà, les photos sur les menus, c’est suspect, et encore plus s’il y a un logo Paellador, c’est une marque de paellas surgelées », avertit Pascal Soalhat, propriétaire du bistrot Copitas, situé quelques rues plus loin.
Face à la Sagrada Famjlia, les serveurs sont aussi des démarcheurs et ils alpaguent toujours les passants en anglais. « Aucun Espagnol ne mangerait ça », explique notre restaurateur français. Et pour cause : les paellas ont ici une couleur inhabituelle et elles sont servies en 10 minutes, quand tout connaisseur sait qu’il faut attendre en général une demi-heure pour du fait maison. Mais voilà, les touristes ne sont pas des connaisseurs et les serveurs, visiblement commissionnés sur les ventes, en profitent. « Oui, bien sûr, toutes les paellas sont faites maison, elles sont exactement comme sur la photo ». Ou comment prendre le touriste pour un parfait idiot.
Si à Paris, des bars servent les fonds de cuves aux étrangers qui commandent un grand cru, persuadés qu’ils ne font pas la différence, les restaurants touristiques de Barcelone ne font donc pas mieux. Ils servent, de 10h à 22h, des plats industriels, des tortillas sous vide et des patatas bravas décongelées recouvertes d’une sauce en boite. En terrasse, presque tous accompagnent leur plat de la boisson locale : la sangria, ou du moins une mixture qui y ressemble. « Souvent du vin rouge avec du Fanta et quelques bouts de fruits », croit savoir Pascal.
« Barcelone a perdu son âme dans les zones touristiques », reconnait Gabriel, responsable du Glop, un restaurant catalan situé deux rues plus bas. Lui aussi pourrait faire ce genre de cuisine, vite faite, mal faite et chère. « Mais ce n’est pas notre essence ». L’entreprise, qui possède deux autres établissements dans des quartiers moins touristiques, a choisi de ne pas monter ses prix sous prétexte d’être à deux pas d’un des sites les plus visités d’Europe. Et encore moins de baisser ses standards de qualité. Ici, tout est fait maison, l’origine des vins est affichée et les prix faciles à trouver. « Certains préfèrent gagner beaucoup d’argent, et avec la rotation de visiteurs qu’il y a ici, c’est facile ».
Paellas surgelées et fausse sangria
Pour attirer le chalant, les menus de ces restaurants attrape-touristes affichent des prix très raisonnables. Mais c’est une fois assis que ça se complique. « Le serveur a doublé le nombre d’entrées, alors que nous avions été très clairs sur les quantités, et cela va sans dire, ce n’était pas bon marché« , explique Sam dans les avis Google. Plusieurs autres racontent avoir été forcés par le personnel à prendre plus de plats, à devoir payer des frais supplémentaires incompréhensibles, jusqu’à 10% de pourboire exigés par le serveur, en plus des 15% de supplément terrasse indiqué en très petit sur les menus. Bref, des additions qui grimpent facilement à plus de 50 euros par personne, sans la qualité évidemment.
Mais plus encore que l’arnaque, c’est le mépris dont font preuve les serveurs qui insupportent le plus les visiteurs. Thomas, un touriste français, raconte être venu prendre un verre. On lui répond alors qu’il doit le prendre en terrasse car l’intérieur est réservé aux repas. Sauf que l’intérieur est presque vide car il est 17h, et que la terrasse comporte un supplément, qu’il découvrira plus tard. On lui apporte ensuite un cocktail qui n’est pas celui qu’il a commandé, mais est bien sûr bien beaucoup plus cher, en expliquant qu’il s’était mal exprimé. « Bref, on s’est bien foutu de nous ! »
Mais comment échapper à ces horreurs gastronomiques quand on ne connait pas la ville ? Rien de plus efficace que les bonnes vieilles méthodes de routards. « Demander à un local », conseille Pascal. « Regarder où il y a des locaux et où il y a la queue », ajoute Gabriel. Et bien sûr, éviter les alentours des sites les plus touristiques, dont les loyers exhorbitants entraînent un business model incompatible avec la qualité : un service non-stop de 10h à 22h, une carte de plusieurs pages avec un choix presque infini de plats et un rendement assuré par des serveurs-démarcheurs qui vont jusqu’à tendre physiquement une chaisse aux passants. Autant de red flags qui ne trompent pas.