La lente mort des boutiques historiques de Barcelone

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Une fabrique de bougie, une ganterie ou encore un chapelier, des boutiques d’une autre époque mais qui continuent d’exister à Barcelone résistant, tant bien que mal, face à la crise, à l’augmentation des loyers des locaux et à l’invasion des grandes marques internationales. Reportage.

Depuis quelques années, Barcelone voit ses boutiques historiques disparaître au profit des grandes chaînes internationales. Les librairies Catalònia et Canuda ont été remplacées par un McDonald’s et un magasin Mango. Les anciens locaux de la Camisería Delofeu sont désormais occupés par un Costa Coffee. Et à la place du Palacio del Juguete qui trônait Carrer dels Arcs depuis 1936, se trouve une boutique Geox.

Une libéralisation des loyers aux conséquences lourdes

En cause, la Loi Boyer, entrée en vigueur fin 2014 et qui a permis aux propriétaires de mettre à jour le loyer des locaux commerciaux par rapport au marché immobilier barcelonais. « On est passé de loyers super protégés à des loyers hyper libéralisés » explique Vicent Gasca, président de l’association des commerçants du quartier de Sant Antoni.

Et cela n’est pas sans conséquences. « Tous mes amis commerçants ont vu le prix de leur loyer augmenter » raconte Victoria Alonso qui tient la ganterie du même nom depuis 40 ans. Par chance, à l’époque de la libéralisation des loyers, la commerçante a pu acheter le local ouvert depuis 1905, lui évitant ainsi de subir cette hausse.

Malheureusement, cela n’a pas été le cas pour tous les commerces historiques de Barcelone, qui ont été nombreux à devoir fermer définitivement leurs stores. Selon un rapport de la business school ESADE et la Fondation Barcelone Comerç, 40,8% des locataires des axes commerciaux de la ville ont été touchés par cette réforme qui a pu multiplier parfois jusqu’à 50 le montant des loyers commerciaux.

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Encore un facteur qui alourdit la chape de plomb qui pèse sur les vieux magasins du centre de Barcelone. « Entre les jeunes qui ne viennent plus, les touristes qui s’émerveillent mais qui n’achètent rien et les locaux qui ne veulent plus payer, je ne m’en sors plus » déplore Victoria Alonso. Vicent Gasca renchérit « la crise économique n’a pas aidé les commerces qui sont d’ailleurs confrontés à des problèmes générationnels, les enfant des commerçants ne voulant pas reprendre l’affaire ».

C’est le cas de Victoria, qui confie, alors qu’un touriste entre pour regarder les éventails exposés dans la boutique, « mes enfants ne veulent pas reprendre, c’est un travail dur, mais je ne veux pas revendre mon magasin ».

Un plan de protection tombé à l’eau

En 2016, pour tenter de sauver les boutiques historiques barcelonaises, la mairie a adopté un plan de protection des commerces emblématiques de la ville. 211 locaux sont concernés divisés en trois catégories de protection : E1 pour les commerces de grand intérêt, E2 pour ceux d’intérêt et E3 pour les éléments d’intérêt paysager. La mairie promettait 1 million d’euros consacré au maintien de ces commerces à travers de mesures de promotion et de protection. Mais les commerçants n’en n’ont pas vu la couleur. « On ne reçoit ni subvention, ni réduction d’impôts, la boutique est juste promue par la mairie de Barcelone auprès des touristes » explique Maria Llop qui gère depuis 35 ans El rey de la Magia ouvert en 1879.

« La boutique fait partie des magasins emblématiques de Barcelone » raconte la commercante. Alors qu’elle montre à un jeune homme un tour de magie qui change la couleur de plumeaux, passant du violet, au blanc puis au rouge, Maria explique « Ce titre ne change rien, la boutique pourrait très bien disparaître, c’est juste honorifique, je m’arrête, sinon je vais m’énerver ! ».

magasin de magie

« Ça protège de rien du tout ! Ce titre c’est un mensonge » s’énerve Victoria Alonso, propriétaire de la ganterie, rue Santa Anna. Avant d’ajouter « Le quartier perd son âme ! Les commerçants ne peuvent plus supporter, ils sont obligés de fermer boutique et ce sont de grands groupes qui reprennent les locaux ».

Centre de Barcelone ou centre commercial

En effet, à Barcelone on dénombre 67 boutiques du géant du textile Inditex, qui détient entre autres Zara, Bershka, Massimo Duti ou encore Pull&Bear. Quant à la restauration rapide, la capitale catalane est colonisée par McDonalds et Burger King qui compte à eux deux 34 adresses.

« Avec toutes ces grandes marques qui s’installent à Barcelone, tous les magasins se ressemblent. Les boutiques perdent une à une leur richesse émotionnelle » regrette la gérante de la boutique d’accessoire de magie, carrer Princesa. Face aux grandes chaines internationales prêtes à débourser plus de 30.000 € pour des locaux initialement loués 600€ par mois dans certaines zones comme l’Avinguda del Portal de l’Àngel, les petits commerçants ne font pas le poids. Beaucoup ont préféré fermer boutique. Une perte d’identité, qui transforme peu à peu la capitale catalane en un géant centre commercial à la manière des autres grandes capitales européennes.

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