Nicolas Tomás : « Le nationalisme catalan n’exclut pas les immigrés, Le Pen et Zemmour si »

medecin français à Barcelone

Nicolas Tomás, journaliste pour le pure-player catalan El Nacional, est l’auteur du livre El Gall Ferit (le coq blessé) aux éditons Saldonar. Un récit qui prend la forme d’un long voyage au sein de la France fracturée et d’une traversée des univers de l’extrême-droite. 

Photos : Clémentine Laurent/Equinox à Wojo

Très bien documenté, en 220 pages, l’ouvrage traite des questions du quartier gitan de Perpignan, des attentats terroristes, de la crise des Gilets Jaunes, de la gestion municipale de Robert Ménard, de Zemmour, Le Pen et du jacobisnisme français.

À trois semaines de l’élection présidentielle, Nicolas Tomás répond aux questions d’Equinox.

Un chapitre de votre livre est dédié à Perpignan, sous le titre « Le ghetto de Perpignan », faisant référence à la communauté gitane. Il suffit de traverser la frontière pour constater une différence flagrante entre Perpignan et Gérone, par exemple. Si en Catalogne, il y a des quartiers sous tension, rien de comparable à ce qui se passe dans les quartiers de Perpignan. Comment expliquez-vous cette différence ?

Il y a des quartiers chauds à Figueres ou à Madrid. Des coins en ruines et sans service public et uniquement composés de populations immigrées, mais c’est vrai que le niveau de ghettoïsation n’atteint pas celui de Saint-Jacques à Perpignan. Il y a aussi largement moins de cités en Espagne qu’en France, ce n’est effectivement pas comparable. La dynamique sociologique et d’immigration n’est pas la même entre les deux pays.

En ce qui concerne les gitans de Perpignan, ils habitent Saint-Jacques depuis des siècles et ne sortent pas de ce quartier. À partir de 2000, l’arrivée d’une immigration subsaharienne maghrébine a été vue par les gitans comme une menace.  Par ailleurs, cette population est utilisée par tous les politiques de la droite parlementaire jusqu’au Rassemblement National du maire Louis Aliot.

Dans le chapitre « Au-delà du jacobinisme », vous commentez l’article 19 de la Constitution française qui stipule que le français est la seule langue en France. Diriez-vous que finalement la Constitution espagnole n’est pas si dure avec les nations historiques comme la Catalogne ?

Non, je ne dirais pas cela. Il est vrai que si l’on compare l’Espagne et la France, bien sûr l’Espagne est plus avancée dans la reconnaissance de ses territoires que la France. Mais le jacobinisme français qui a 300 ans d’âge est actuellement en train de s’effriter. On se souvient de la loi Molac  [NDRL : des mesures de protection et de promotion de langues régionales] qui a été retoquée par le Conseil Constitutionnel. Cela a provoqué un fort malaise social, des manifestations dans la rue, et toutes sortes de protestations qui ont obligé le gouvernement à revoir sa copie. On le voit actuellement avec le statut de la Corse, même si l’ouverture est due à un fait tragique.  La France commence à abandonner son jacobinisme, on verra s’il y a un plafond de verre dans la volonté française de se reformer.

Par ailleurs, ce qui s’est passé en Catalogne en 2017 est singulier. Il n’y a pas de précédent ni au Pays basque, ni en Galice. La France pourra ouvrir son débat sur la reconnaissance des langues et la culture territoriale sans risquer de voir son état se fracturer.

el gall ferit Nicolas TomasDans une conversation avec le maire de Béziers, Robert Ménard, vous évoquez les sujets frontières, nation, patriotisme et nationalisme. À l’exception du terme « frontières », ce sont ces mots que l’on entend souvent aussi dans le monde indépendantiste catalan.

Personne ne dit jamais « je suis nationaliste, » il dira « je suis patriote ». Je ne rentrerai pas dans le débat sémantique mais en France et en Catalogne, nous sommes dans des conceptions distinctes. Robert Ménard par exemple voulait faire un référendum à Béziers pour ne pas accueillir les Syriens, même si aujourd’hui il est favorable à accueillir des Ukrainiens blancs. Au même moment se déroulait à Barcelone la plus grande manifestation d’Europe pour accueillir les réfugiés de la Méditerranée.

Le nationalisme catalan n’exclut pas les immigrés, il ne revendique pas une Catalogne blanche et chrétienne. L’immigré n’est pas un ennemi pour le souverainisme catalan.  Même si il est vrai qu’il existe une minorité indépendantiste catalane d’extrême-droite mais qui n’a pas d’élu au parlement.

Par ailleurs, l’indépendantisme catalan est aussi très européen, ce qui n’est pas le cas du nationalisme français. Même s’il faut effectivement faire des distinctions à la marge entre Zemmour, Ménard et Le Pen sur ce thème.

Dans votre livre, vous évoquez la théorie du grand remplacement. Une théorie qui explique qu’un peuple substitue un autre en remplaçant sa culture, sa langue et son identité. Elle est défendue par Éric Zemmour en France. N’est-ce pas la tentation d’un secteur du mouvement indépendantiste, qui prétend que les Espagnols ont imposé leur langue, leur culture en remplacement du catalan ? Certains décrivent Barcelone comme une ville espagnole, avec une maire qui serait espagnole et non catalane. Quelle est la différence entre ce discours et celui de la grande substitution en France ?

Oui, c’est le même discours. Il est cependant très minoritaire en Catalogne. Mais dire qu’un noir remplace un blanc représente le même danger que dire qu’un Espagnol remplace un Catalan. C’est la même chose et il faut le combattre. On a cependant la chance que ce discours soit extrêmement marginal dans le monde indépendantiste catalan.

el gall ferit Nicolas TomasQuel est votre pronostic pour l’élection présidentielle ? 

Je n’ai pas de boule de cristal, mais je pense que la dynamique dirige le pays vers un second tour opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen.

La candidate du Rassemblement National peut remporter l’élection, comme le dit le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin ? 

En aucun cas. Pas durant cette élection de 2022 en tous cas. Avec la guerre d’Ukraine, la popularité de Macron est catapultée. Sans le conflit ukrainien, Macron aurait dû affronter son bilan très critiqué par les gilets jaunes et sur la gestion du Covid. Mais avec le conflit ukrainien, tout a changé et Macron en sort renforcé. Surtout que la France est à la présidence tournante de l’Europe et avec le retrait d’Angela Merkel, Macron apparaît comme le seul leader.

Nicolas Tomás el gall ferit

El Gall ferit de Nicolas Tomas est disponible en version papier et epub.

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