Pour un Français expatrié en Espagne, parler espagnol, catalan ou une autre langue régionale est monnaie courante… parfois au point de ne plus vraiment savoir parler français. Vivre à Barcelone et perdre sa langue maternelle, c’est possible ?
Photo : Mariona Gil/Ajuntament
Chercher ses mots et même en inventer, traduire littéralement des expressions, prononcer des mots étrangers avec l’accent espagnol… Une situation dans laquelle beaucoup d’expatriés francophones en Espagne se reconnaîtront. À force de parler une langue étrangère dans son quotidien, on a l’impression de “perdre” son français. Mais en réalité, ce n’est pas vraiment le cas. “On ne peut pas oublier sa langue maternelle”, tranche Dolors Font Rotchés. Docteure en Philologie catalane à l’Université de Barcelone. En revanche, on ne parle pas avec autant de facilité qu’avant : “si l’on n’a pas d’interlocuteurs pour pratiquer fréquemment sa langue maternelle, on perd en fluidité et en lexique spécifique”, explique la spécialiste dans le domaine de l’acquisition de secondes langues. Autrement dit, on cherche ses mots.
Heureusement pour tous les expatriés, c’est un processus tout à fait naturel, et appelé par les spécialistes “l’attrition des langues”. Lorsqu’on apprend une nouvelle langue, celle-ci commence à se “battre” avec notre première langue, et il est alors difficile de bien faire la différence entre les deux : on peut par exemple former des phrases dont la construction n’est pas très correcte, ou traduire littéralement une expression.
Pour savoir exactement quelle langue parler dans quel contexte, notre cerveau met en place une sorte de “tour de contrôle” qui décide ce qu’il faut utiliser et à quel moment, précise la BBC News. Ce qui fait qu’il est difficile d’oublier totalement sa langue maternelle : la “tour de contrôle” permet de revenir au français quand il le faut.
12 ans, âge crucial pour l’apprentissage des langues
Difficile d’oublier sa langue maternelle… mais pas totalement impossible. Il existe des cas dans lesquels certains ont perdu l’usage de leur première langue, et ce sont en particulier des enfants de moins de 12 ans. Avant ce âge, le cerveau est plus “flexible” et apprend plus facilement les autres langues, mais “désapprend” ainsi rapidement. Ainsi, des études ont remarqué que certains enfants qui avaient quitté leur pays de naissance avant 9 ans avaient complètement oublié comment parler leur première langue.
Photo : Soundit Bcn/Facebook
Perdre sa première langue est un phénomène beaucoup plus rare chez les adultes, mais pas inconnu non plus. Dans le cas de graves traumatismes, il peut arriver qu’une personne de plus de 12 ans oublie sa langue maternelle ; c’est ce qui est arrivé à certains juifs allemands qui, une fois expatriés en fuyant la Shoah, ont remplacé l’allemand par leur langue d’adoption.
Mais les cas d’une perte totale de la langue maternelle sont rares. Si un francophone parle espagnol ou catalan toute la journée, il n’en oubliera pas son français pour autant. Pour éviter les petits moments où l’on cherche ses mots ou les traductions littérales d’expressions espagnoles, il suffit de maintenir un contact étroit avec le français, comme regarder des films, lire des livres ou parler en français régulièrement.
Dolors Font Rotchés note aussi qu’il est possible de prendre une intonation étrangère lorsqu’on parle sa langue maternelle, comme par exemple un Français expatrié à Barcelone qui s’exprimerait avec une intonation espagnole. Mais ici encore, cela ne constitue pas un signe de “perte” du français. “Ce sont seulement des changements, qui n’impactent en aucun cas la communication avec les natifs, même si les natifs le remarquent, dans le lexique, dans la prononciation ou dans certaines constructions grammaticales”, éclaire la spécialiste.
Pas d’inquiétude, donc : les Français de Barcelone ne perdront pas leur français, même l’espagnol ou le catalan font partie de leur quotidien.
À lire aussi : Catalan ou espagnol : quelle langue est la plus facile pour un Français
