Les Catalans et leur bilinguisme : une relation compliquée

Catalans

Vivre en Catalogne, c’est grandir entre deux langues et deux cultures. Mais contrairement aux idées reçues, le mélange du double dialecte n’est pas totalement parfait chez les Catalans. Au point même que certains se sentent différents en parlant catalan ou castillan. Portrait d’un bilinguisme plus complexe qu’imaginé.

« Les Catalans parlent aussi bien catalan que castillan. » Sur le papier oui, mais dans les faits, pas vraiment. Même si certains se montrent complètement bilingues, le cœur et la langue balancent souvent d’un côté ou de l’autre. Comme si, le Catalan n’était ni 100 % Catalan, ni 100 % Espagnol. Et que faire partie de cette région rendait la tâche d’autant plus compliquée. Car la Catalogne est un melting-pot en tant que tel. Entre les habitants aux doubles origines, ceux ayant grandi dans les villages et les autres dans les villes, la manière de vivre son bilinguisme semble infinie.

Car dans l’usage de la double langue, tous ne sont pas égaux. « Cela dépend de l’apprentissage. S’il a été totalement équilibré ou non », explique le professeur de linguistique à l’Université de Barcelone, Emili Boix. Aussi improbable que cela puisse paraître aux yeux des Français, un Catalan n’est donc pas autant à l’aise dans une langue comme dans l’autre. Parfois même, il peut se sentir différent lorsqu’il s’exprime dans un dialecte ou dans l’autre.

« Je ne me sens pas pareille en espagnol »

« Il y a des mots que j’ai du mal à trouver en castillan pour définir ce que je ressens », témoigne Ylénia qui habite dans le quartier de Sant Andreu à Barcelone. À la maison, c’est avec un « bon día » que la Catalane commence sa journée. Alors, lorsque vient le moment de dialoguer dans la langue du pays de Cervantes, elle l’affirme : « je ne me sens pas pareille ». Non pas qu’elle change de personnalité, mais elle ne possède pas la même aisance. Ni la même faculté à s’exprimer.

À son image, Jemima, Barcelonaise, choisit volontiers le Catalan au moment d’exprimer ses émotions. « Le vocabulaire est plus élargi, donc je suis plus expressive. Je trouve le mot exact ». Pourtant, celle qui vit dans l’Eixample depuis toujours a grandi entre le castillan, par ses grands-parents, et le catalan par ses parents. Elle est alors parfaitement bilingue. Mais dans la difficulté, c’est le dialecte régional qu’elle préfère utiliser. « D’ailleurs, ça fait débat dans le secteur médical. Parce qu’il y a encore beaucoup de personnes qui n’arrivent pas à parler de leur douleur en castillan », ajoute Emili Boix. Tout simplement, car ce n’est pas leur langue intime, « celle avec laquelle on meurt ou celle avec laquelle on rêve ».

Mieux choisir ses mots et ses émotions 

Mais en tant que bilingues, les Catalans ne devraient-ils pas réussir à parler à 100 % de la même façon ? Tous ne détiennent pas ce luxe. « Le bilinguisme parfait est très difficile à avoir. En général, il y a une langue qui prend le dessus », argumente Maria Teresa Garcia Castanyer, professeure à l’Université de Barcelone. Mais surtout, le plus fréquent, selon elle, chez les bilingues, c’est « le changement de langue selon la situation, l’interlocuteur ou la tournure de la conversation ». Preuve en est, lorsque Raúl, Barcelonais de 46 ans, est entouré de ses amis ou de sa famille, il peut aussi bien switcher de langue d’une phrase à l’autre sans s’en rendre compte. Mais à bien y réfléchir, il sélectionne l’un ou l’autre dialecte selon ce qu’il souhaite dire.

« Il y a des sentiments qui sortent mieux en catalan alors que je vais utiliser le castillan pour formuler une idée », reconnaît-il. Non pas parce qu’il se sent « davantage lui » avec la langue de son papa, mais plutôt pour des questions de vocabulaire. La langue qui semble mixer le français et l’espagnol, est plus riche dans le champ lexical du ressenti. « Finalement, comme j’ai grandi dans les deux cultures, je recherche la précision dans une langue ou dans l’autre », pense Raúl. Et elle passe aussi par la voix. Plus douce et musicale en catalan, plus dure en castillan.

Conséquence d’une utilisation différente des muscles, de la construction des langues et de l’histoire qui s’y lie. « J’ai une douceur spéciale en catalan. Alors qu’en espagnol, mon ton est plus sec », remarque Jemima. Pour elle, parler Catalan, c’est parler avec le cœur, c’est retrouver son côté enfantin. Une réaction qui peut aussi s’expliquer par la longue interdiction de l’usage du catalan, remarque le linguiste Emili Boix. « Cela a généré un sentiment d’appartenance très fort par la suite » Rendant le bilinguisme d’autant plus complexe pour les Catalans, et cultivant encore une fois son côté indiscernable.

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