Avoir un CDI en Espagne est-il vraiment gage de sécurité ? Dans la péninsule ibérique, un salarié en contrat à durée indéterminé peut se faire licencier du jour au lendemain. Une pratique courante et « facile », à mille lieues des protocoles français. Mais non sans risque, rappellent des avocats. Explications, témoignages et conseils d’experts.
Décrocher un CDI, en France, est depuis longtemps le Saint Graal de la sécurité professionnelle. Une formule qu’a suivie l’Espagne en réformant sa loi du travail, en 2022, pour démocratiser les contrats « indefinidos » (CDI). « De cette façon, on lutte contre la précarité », commente Carmen López, avocate à l’agence franco-espagnole Linkia Legal. Mais même en suivant les pas de sa voisine, l’Espagne peine encore à proposer une protection à sa hauteur.
Car entre les deux pays, il existe des différences de taille. Et c’est au moment où les choses se corsent qu’elles se ressentent. « Le licenciement est très facile et plus rapide qu’en France », annonce Célia Juega, avocate experte en droit du travail, de M&B Abogados, cabinet basé des deux côtés de la frontière. Et elle confirme : le CDI français protège davantage que l’espagnol. Il n’y a qu’à compter le temps de renvoi d’un salarié. En Espagne, il peut aller d’un instant à quinze jours, contre plus de six mois en France.
Des CDI virés en quinze jours (ou moins)
Car au Pays de Cervantes, on se passe des formalités. Pas de convocation par courrier, ni de réunion cinq jours après, ni de lettre de licenciement suite à la rencontre, ni de préavis allant de trois à six mois pour clôturer le processus « à la française ». Non, en Espagne, « c’est hyper simple ! Tu les convoques au bureau de conciliation (le SMAC), on signe, tu payes les vacances, l’indemnisation de licenciement, plus les 15 jours de préavis et c’est terminé. En donnant le maximum, il n’y a pas de drame », témoigne Valérie*, Française à la tête d’une entreprise à Barcelone depuis plus dix ans.
Dans le cadre d’un licenciement économique, organisationnelle, ou de production, l’indemnité s’élève à 20 jours de salaire par année d’ancienneté. Dans le cas d’une faute grave commise par l’employé, comme un abus de confiance, des manques de respect ou une baisse volontaire de performance, celui-là ne sera ni compensé financièrement, ni disposé d’un préavis.
Ainsi, en respectant cette procédure, Valérie s’est séparée en un temps de record de trois salariés cette année. Un court délai que préfèrent d’ailleurs les Espagnols aux Français, selon l’avocate Célia Juega. Les premiers n’appréciant pas de rester longtemps après avoir été virés, tandis que les Français redoutent les préavis trop court. « C’est un peu embêtant, mais bon », reconnaît Valérie, avec une pointe de regret parfois. Mais selon la cheffe d’entreprise, à la tête de 30 salariés, la réforme espagnole met les patrons au pied du mur.
« Avec notre convention, on n’a que deux mois de période d’essai. Ça nous laisse très peu de temps pour voir si la personne rentre dans le cadre. » Avant, elle accumulait trois mois d’essai et trois autres en CDD avant de proposer le CDI. Un gage de sécurité favorisant un bon recrutement. Mais désormais, Valérie n’a pas d’autres choix que de dépenser de l’argent pour se séparer, au besoin, d’un salarié incompétent. C’est ça, ou la démission. « La rupture conventionnelle n’existe pas », assure-t-elle.
Les faux pas à éviter et recours possibles
Pour autant, même si la démarche semble simple sur le papier, il existe des détails à ne pas omettre. Et d’après les deux expertes, Célia Juega et Carmen López, il vaut mieux faire appel à des professionnels. Car trop de fois, « les entreprises françaises basées ici voient encore l’Espagne comme le tiers-monde et virent facilement ». Elles appellent alors leur gestionnaire de paye et remettent un courrier comprenant une simple ligne, ou au mieux deux paragraphes, et une mention du Code du travail espagnol. « Mais si la lettre est mal rédigée, et n’est pas remise en main propre ou par burofax, il est difficile après pour moi de contester la violation des droits fondamentaux », assure Célia Juega, accoutumée à défendre les entreprises.
Bien que le droit espagnol n’arrive pas à la cheville de la France et qu’aucun conseil des Prud’hommes n’existe, les employés licenciés ont, comme en France, fort à gagner à saisir la justice. Ou du moins, ils disposeront de toutes les cartes pour négocier leur prime. Car il existe tout de même quelques recours et protections cachés derrière un CDI, peu sécurisant vu d’extérieur.
Au mieux, les femmes enceintes, les récentes mamans, les représentants du personnel ou encore ceux ayant demandé une augmentation ou un aménagement parental des horaires de travail dans les mois précédents la mise à la porte demanderont « la nullité ». Une réclamation qui permet d’obtenir tous les salaires non obtenus jusqu’à la décision de justice. « Cela peut monter jusqu’à un an de revenus », estime l’avocate Célia Juega.
Et puis, au pire, ils pourront contester la décision et remporter 33 jours de salaire par année d’ancienneté, s’il s’agit d’un licenciement abusif. Mais il faut faire vite : le salarié licencié possède 20 jours seulement pour réagir et revendiquer un dédommagement, explique Carmen López Lizán. Histoire que tout le monde soit, un tant soit peu, gagnant. Comme une fausse rupture conventionnelle, en moins facile.
*prénom fictif, par respect de l’anonymat