Plantes hallucinogènes, dérives sectaires : les inquiétudes d’un papa français à Barcelone

Chaque mois, en Catalogne, une quinzaine de Français partent en week-end de quatre jours pour consommer des substances psychoactives naturelles importées d’Amérique du Sud. Un enfant de moins de 10 ans, aussi, aurait été présent lors d’un séjour. Pour Equinox, le papa du petit garçon accuse et l’organisateur des rites dément. 

Photos : Facebook

C’est de la bouche d’un enfant de 8 ans que tout est sorti. « L’ayahuasca sert à nettoyer le corps et les champignons et le bufo alvarius réveillent l’humanité. » Ce dimanche matin de novembre, son papa, Arnaud*, expatrié français à Barcelone depuis 15 ans, a aussi entendu que son ex-femme et d’autres Français seraient partis régulièrement en séjour au sein d’une masia en plein cœur des montagnes de la Garrotxa, à Olot, où des plantes psychoactives sont consommées.

Que pour 590 euros par personne, ces adultes pouvaient ouvrir « les yeux sur la vie » avec un beuvrage d’ayahuasca, une liane clandestine d’Amazonie, à boire la nuit lors de cérémonies durant 5 à 6 heures. Pour 80 euros supplémentaires, ils peuvent aussi ingérer du kambo, un poison sécrété par les grenouilles, après avoir brûlé leur peau. Une « détoxification » à faire le matin à jeun, bassine à côté pour vomir juste après. Pour 150 euros en plus, tous peuvent inhaler du bufo alvarius, des cristaux venant des glandes du crapaud éponyme mexicain, grâce à une pipette en verre, pour libérer le stress.

Qu’aussi, pendant l’ensemble de ces rites, « les hommes toucheraient le corps et les seins des femmes en transe pour faire sortir le mal et entrer le bien », témoigne Arnaud à travers les mots de son enfant. Et que tout cela ne sont autres que des médecines ancestrales, existant depuis des millénaires en Amérique du Sud. Ce matin-là, Arnaud a écouté son petit garçon. Tristement. Et il n’a plus attendu pour déposer une plainte auprès des Mossos d’Esquadra, à laquelle Equinox a eu accès.

115803247 749153759165607 7735088317460554419 nUne plainte et un signalement pour dérive sectaire

Fin novembre, Arnaud a porté plainte contre son ex-femme pour ne pas avoir protégé son fils. Il a sauté le pas trois ans après avoir vu une photo de son garçon, au milieu du groupe, publiée en 2020 sur un compte Instagram qui n’existe plus. Trop de fois, Arnaud avait tenté de dissuader son ancienne compagne de se rendre à ces séjours en présence de leur enfant. Trop de fois, il s’était méfié de ces réunions orchestrées tous les mois par des Français, autour de plantes hallucinogènes. Trop de fois, il avait eu peur que cette entité opérant en pleine nature, en Espagne, endoctrine ses proches. » Mais quand mon fils m’explique qu’ils prennent ´de la paix qui lave´, que tout ça est à sa portée de main… », se désole-t-il, au téléphone, sans terminer sa phrase.

Inquiet de cette présumée influence, Arnaud avait déjà émis un signalement en 2021 à la Miviludes, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Des saisines parmi tant d’autres, reçues depuis quelques années par l’organisation, sur les pratiques de « maîtres et guides chamans » et leur business. Dans un rapport, la Miviludes cite des stages d’ahayahuasca et bufo, qualifiés de stupéfiants par la loi française, encore plus chers que ceux évoqués dans la plainte du papa : jusqu’à 2 350 euros pour quatre jours à Barcelone. Elle pointe aussi du doigt des infractions sexuelles en état de vulnérabilité, et des consommations pouvant provoquer la mort. Tout ça, en France, en Europe ou en Catalogne.

Une plante illégale en France, tolérée en Espagne

Tout est question de frontière. L’ayahuasca, aussi surnommée « liane de folie », tient ses racines en Colombie, du Pérou, Brésil, Bolivie, Équateur, Venezuela ou Paraguay. Elle contient de la DMT, la diméthyltryptamine, une molécule organique psychotrope qualifiée de drogue en France comme en Espagne. Mais du premier côté de la frontière, l’ayahuasca est illégale, alors que dans la péninsule ibérique, elle est autorisée seulement pour son usage personnel, sans vente ni partage.

Une tolérance juridique qui laisse l’opportunité au groupement visé dans la plainte de l’expatrié français, d’opérer en Catalogne avec des lianes colombiennes depuis cinq ans environ. « C’est pour ça qu’on fait nos retraites en Espagne », affirme, en toute transparence, un membre de l’organisation contacté par Equinox. Mais selon lui, hors de question de parler de trafic. « On ne vend pas l’ayahuasca », insiste celui qui encadrerait les cérémonies avant d’ajouter : « Ce n’est de la drogue, car il n’y a pas d’addiction, de manque ou de descentes ».

Or, selon Manuel Roig, avocat spécialisé en pénal et civil, c’est pourtant clair : « avec ces réunions ou ces séjours, ils facilitent la consommation illégale de drogues toxiques ou de stupéfiants. Des gens payent, donc ils achètent la plante. C’est du trafic. Ils risquent la détention. » Entre trois à six ans, selon l’article 368 du Code Pénal, et une amende pouvant aller jusqu’à trois fois la valeur des substances. C’est encore sans compter la présumée présence de mineur.

Pas d’apologie ni d’enfant, selon l’organisation

Cependant, l’organisation nie en bloc. « C’est impossible. Aucun enfant n’a fait une cérémonie, ni même des animaux ou les compagnons et compagnes des participants. » D’autant que tous remplissent une fiche de renseignements avant le séjour pour « être certains qu’ils sont psychologiquement stables et qu’ils n’aient aucune contre-indication », explique l’homme. Ils doivent aussi respecter une diète drastique éliminant tout médicament, alcool, relations sexuelles, porc, chocolat ou autres produits pouvant provoquer des « effets nocifs » en contact avec l’ayahuasca. Un processus bien rôdé que lui, et trois autres personnes aux manettes des cérémonies, aurait expérimenté pendant plusieurs années dans la jungle amazonienne auprès de véritables chamans.

Car eux ne le sont pas, assure-t-il. Pas de diplôme ni de formation. Pas non plus de promesses de guérison. Mais plutôt une connaissance des « vertus » de cette substance qui a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs congrès et études, explique l’adepte des cérémonies d’ayahuasca. Car du côté des « expérimentés », les maîtres-mots sont plutôt « miroir interne », « développement personnel », « compréhension de soi », ou encore « découverte encadrée ». Sans apologie, renchérit l’un des organisateurs interviewé par Equinox.

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Mais l’éloge est difficile à entendre lorsqu’il s’agit, pour un père, d’imaginer son enfant assister à ce séjour. De le penser entouré uniquement d’adultes, allongés au sol, bouche ouverte, comme sur les images diffusées sur les réseaux sociaux et archivées par le plaignant. De songer aux yeux de son petit garçon apercevant des hommes et femmes dénudés et scarifiés dans le dos. Difficile aussi de ne pas imaginer que son fils eu été confronté à une présumée secte, comme il le raconte dans sa plainte.

Alors que du côté adverse, le discours est tout autre : « Nous ne sommes pas une secte. On est totalement transparents, on ne cache rien. On ne fait pas de gains d’argent délirants, on ne retient personne et on ne fait pas d’emprise psychologique. » Mais qu’il s’agisse d’une drogue ou d’une simple plante, d’une présumée secte ou d’une organisation dans son droit, Arnaud conclut : « J’aimerais simplement que mon fils ne s’y rende plus. » L’affaire est maintenant dans les mains de la justice.

*par respect de l’anonymat, le prénom a été modifié.

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