Que viennent chercher les rappeurs français à Barcelone ?

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En marge des concerts organisés chaque été dans les discothèques de la Vila Olímpica, les rappeurs français ont appris à aimer Barcelone. Ils sont de plus en plus nombreux à enregistrer des morceaux et tourner des clips de l’autre côté des Pyrénées.

Photo : Kamek Gondry

Sous la lumière crue qui baigne le terminal ouest de l’aéroport d’Orly, au sud de Paris, deux groupes se croisent devant un bureau de presse. « Be generous, be positive, be zen, be happy », peut-on lire au fronton de la boutique Relay. Pas besoin de parler anglais pour savoir que les mots échangés par ces hommes sont moins amènes. En quelques secondes, la rencontre dégénère en affrontement à coups de poings, de pieds et de bouteilles de parfum au milieu de voyageurs stupéfaits. Certains ont immortalisé la scène. Grâce à leurs vidéos, personne n’a oublié la bagarre qui a opposé les équipes de Booba et de Kaaris dans la moiteur de l’été 2018. Mais la violence de l’altercation a éclipsé leur point de chute. Les rappeurs devaient se rendre à Barcelone pour donner un concert, l’un au Pacha et l’autre au Shôko.

« Ils sont tous passés en showcase »

Emmenés en garde à vue, puis condamnés à 18 mois de prison avec sursis et à 50 000 euros d’amende, les deux poids lourds du hip-hop hexagonal ont raté leur avion pour la Catalogne. Kaaris a néanmoins eu l’occasion de venir à plusieurs reprises depuis. Il était encore à l’affiche du Shôko l’été dernier, tout comme L’Algérino, Vegedream, Alonzo, Orelsan, SCH, Tayc, Dadju, la Fouine et Soso Maness.

Avec pareille programmation, la boîte de nuit de la Vila Olímpica ciblait notamment les touristes. « Tu viens à Barcelone cet été et tu veux voir tes artistes rap français préférés ? », lançaient les organisateurs dans une vidéo de promotion, bien conscients que la cité comtale est la destination préférée des Français, qui sont par ailleurs légion à y vivre.

« Chaque été, il y a plein de showcases », confirme Kamel Ayad Gondry, un réalisateur tricolore arrivé à Barcelone il y a 9 ans. « PNL, Hamza, SCH, ils sont tous passés. » L’Alsacien est bien placé pour savoir que ces chanteurs ne viennent pas seulement pour faire plaisir à la communauté francophone et prendre un billet au passage. Il a eu l’occasion de tourner des clips dans le coin pour Rim’k, Alkpote, Limsa d’Aulnay ou encore PLK en janvier. « C’est une ville facile d’accès et riche en décors », vante ce sosie de l’ancien footballeur suédois Zlatan Ibrahimović. Alors que Paris et Marseille saturent l’univers visuel du rap, Barcelone offre une palette de paysages large et encore peu exploitée. « Selon le quartier où tu vas, tu peux avoir l’impression d’être à Gotham, à Cuba, à New York ou à Miami », fait-il remarquer.

« Je remercie le Seigneur chaque matin d’être venu »

Entre deux taffes, le producteur DJ Weedim confirme : « Je dis toujours que Barcelone est le Miami de l’Europe », compare ce beatmaker ayant travaillé avec Roméo Elvis, Aketo, Biffty, Alkpote, Roshi, Oxmo Puccino, 13 Block, Infinit’ et S Pri Noir. « Tu peux aller à la plage le matin et au studio l’après-midi. » C’est pour ce mode de vie « idyllique » que Weedim a décidé d’emménager à Barcelone il y a trois ans, poussé en dehors de Paris par les affres du Covid-19. « Je ne sais pas si je resterai toute ma vie mais pour l’instant je remercie le Seigneur chaque matin de m’avoir fait venir ici », éclate-t-il de rire.

Après sa prière matinale, le Francilien installé sur les hauteurs de Nou Barris descend généralement dans le quartier de Sagrada Familia où se trouve son studio. Il est parfois rejoint par des rappeurs qui ont tout juste traversé les Pyrénées. « Les Parisiens qui veulent travailler avec moi n’ont qu’à prendre un billet d’avion », observe-t-il. « C’est plus facile et plus attrayant pour eux que d’aller à Bordeaux ou dans une autre ville de province. » Certains font d’ailleurs le déplacement sans passer chez lui. « Beaucoup de rappeurs organisent des séminaires à Barcelone », confie Kamel Ayad Gondry. « Ils louent une villa pour une dizaine ou une quinzaine de jours et ils travaillent sur un album. C’est le cas de Deen Burbigo en ce moment et Koba La D est venu récemment. »

Un catalan à l’origine du mouvement

À l’été 2022, une de ces grandes maisons avec piscine nichée au nord de Sitges a accueilli une vingtaine de rappeurs francophones. Gazo, Da Uzi, Roméo Elvis, Alkpote, Limsa D’Aulnay, Le Juiice ou encore Savage Toddy avaient été invités par les Belges Caballero et Jean-Jass à participer à la quatrième saison de High et Fines Herbes, leur émission de télé-réalité qui mélange recettes de cuisine et cannabis.

L’endroit n’avait pas été choisi au hasard. « Je suis né à Barcelone, toute ma famille est à Barcelone, c’est ma culture », résume Artur Caballero Mañas Sentis, dont le nom de famille est aussi le nom de scène. L’homme de 35 ans met donc un point d’honneur à faire découvrir la ville aux rappeurs qu’il côtoie.

En 2016, déjà, Caballero avait cornaqué Alpha Wann dans les rues de la capitale catalane. Membre fondateur du groupe 1995, ce dernier en avait tiré un morceau agrémenté d’un clip. « Ça a un peu lancé le mouvement », rembobine Kamel Ayad Gondry. « C’est devenu une destination de plus en plus prisée par les rappeurs. » S’agit-il pour autant d’une ville de hip-hop ? En dehors de Morad, habitué des featurings avec Rim’K, rares sont les rappeurs catalans à trouver grâce aux yeux des Français. « Ils sont un peu en retard sur les nouvelles sonorités », juge DJ Weedim, qui n’en aime pas moins enrichir son style au contact d’Espagnols ou de Dominicains vivant à Barcelone.

Le décalage pointé par le beatmaker en dissuade peut-être certains de suivre ses pas. « J’en ai souvent entendu dire qu’ils aimeraient vivre ici mais venir en vacances et travailler à Barcelone sont deux choses différentes », note Kamel Ayad Gondry. « Une fois qu’on a déménagé, il faut se construire tout un réseau. » DJ Pone a par exemple vécu dans le secteur avant de rentrer en France. Lacrim se contente de passer régulièrement. De son côté, Weedim a mis un peu de temps avant de se faire connaître et de mixer dans des bars. Mais ça ne l’a pas empêché de remercier le Seigneur tous les jours d’être à Barcelone.

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