Les dirigeants espagnols de moins en moins séduits par le télétravail

Les entreprises espagnoles sont encore parmi les plus réticentes d’Europe à accepter le télétravail. Une tendance culturelle ? Eléments de réponse. 

Photo : @maltehelmhold – Unsplash

Mars 2020. Une pandémie mondiale force les entreprises espagnoles à s’adapter, bon gré mal gré, en mettant en place le télétravail quand l’activité le permettait. Quatre ans plus tard, ce que beaucoup d’employés avaient considéré, ou espéré, comme un acquis, perd toujours plus de terrain. « J’ai commencé à travailler dans mon entreprise actuelle en mai 2020 et nous étions à 100% en télétravail, explique Elise, responsable de communication dans une multinationale, maintenant on doit venir au moins trois jours par semaine au bureau ».

En Espagne, 80% des entreprises se tournent désormais vers des modèles hybrides : une partie de la semaine au bureau, l’autre à la maison (ou ailleurs). Seules 10% des employeurs acceptent le tout-télétravail. C’est le cas pour Julie, Française qui vit à Barcelone depuis 6 ans. « L’entreprise a réalisé un sondage, et la majorité des employés ont dit qu’ils aimaient travailler à la maison, donc nous avons des bureaux intelligents, c’est-à-dire que nous pouvons réserver notre place si nous voulons venir mais rien n’est imposé ». La jeune rédactrice avoue préférer son home office, mais aime aller au bureau occasionnellement, notamment pour voir ses collègues. Dans son équipe, certains viennent tous les jours, d’autres la moitié de la semaine, et d’autres encore, comme elle, occasionnellement.

Incertitude et manque de contrôle

La moyenne espagnole de télétravail se situe à 2,4 jours par semaine, par rapport à une moyenne européenne de 3,2. Madrid est ainsi la capitale européenne où on va le plus au bureau. « La culture espagnole possède tous les ingrédients pour être réfractaire au télétravail », estime Eva Rimbau-Gilabert, professeur en Ressources Humaines à l’Université Ouverte de Catalogne. « C’est une société hiérarchique, collectiviste et surtout qui cherche à éviter les situations ambiguës, incertaines ou inconnues ».

Selon la chercheuse, « les personnes occupant des postes d’encadrement qui évitent l’incertitude se sentiront à l’aise pour structurer le travail de manière à mieux contrôler le fonctionnement et les performances de leurs équipes ». Et les chiffres lui donnent raison. Selon une récente étude du cabinet KPMG, 90% des cadres se disent prêts à récompenser les salariés qui viendraient au bureau, par des promotions ou des augmentations de salaire par exemple. Des données surprenantes, qui montrent à quel point le travail en présentiel est valorisé, et surtout associé au succès du management.

Une mode ?

Si l’avis est moins tranché du côté des subalternes, le retour au bureau est de mieux en mieux vécu, voire recherché. Yolanda a ainsi travaillé chez elle durant trois ans, avant que son entreprise ne lui impose le retour au bureau, pour les besoins d’un nouveau projet.

quartiers de Barcelone

Photo: Cyane Morel

« Si on m’avait posé la question au printemps dernier, j’aurais dit que je préférais le télétravail car je trouvais très confortable de travailler à la maison, mais maintenant je vois des avantages au présentiel : les relations sociales, le fait d’être plus active, de faire plus d’exercice physique car je vais au bureau à pied… le seul inconvénient, c’est que j’ai moins de temps pour moi ». Mais désormais, si on lui proposait à nouveau de reprendre son poste à domicile, la téléopératrice affirme qu’elle refuserait.

Le télétravail pourrait-il donc passer de mode ? Oui, selon les dirigeants espagnols interrogés dans l’étude KPMG : 80% des PDG estiment que le télétravail sera résiduel dans le pays en 2026. Mais les experts en ressources humaines nuancent. La flexibilité professionnelle est une tendance de fond, et la possibilité de travailler à distance doit être évaluée par les entreprises, voire intégrée à leur culture. La clé pour les entreprises espagnoles, dans un contexte de recrutement et de fidélisation toujours plus tendu, sera donc sans doute de trouver le juste équilibre.

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